« ARTISTES 2 MERDE - POLITISEZ VOUS »

(La coupure, journal mural)

paru dans lundimatin#192, le 21 mai 2019

Ces dernières semaines, un journal mural est apparu aux environs aux environs des galeries, musées et écoles d’art de Paris. Un premier numéro avait été aperçu l’an passé aux mêmes endroits. Nous reproduisons ici le contenu de ce mystérieux collage.

« Bonjour,
Vous estimez avoir participé au projet du centre d’art [X.] En conséquence de quoi, vous nous avez adressé une facture d’un montant de [X] euros.
Le bureau a considéré que compte tenu de l’absence d’engagement formel signé de la part du centre d’art [X.], ce dernier ne peut accéder à votre demande et ne règlera donc pas cette facture.
Cordialement. »

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MUCEM EN GRÈVE

« Toutes nos conditions de travail sont ainsi liées à notre convention collective, qui est celle des Parcs d’attractions et de loisirs comme celle de Disney, écrite en 1994, qui est une convention collective hyper permissive. Pour donner un exemple, y’a deux ans j’ai eu 17 CDD d’affilée de 1 jour sur un mois. Ce qui en soi fait un mois complet puisque tu travailles environ 20 jours par mois... moi j’en ai eu 17 de 1 jour ! »
Précarité, exposition permanente ?, Boris Gobin, soundcloud.com, 03/12/2018

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Le 18 novembre dernier, un rat gonflable de plusieurs mètres de haut a été installé par des travailleur.euse.s du Moma PS1 devant l’entrée du musée en signe de protestation.
« C’est juste assez incroyable cette institution qui promeut des idées progressives, ou essaie de se montrer progressiste, mais qui refuse quand même de payer un salaire décent aux travailleur·euse·s de New York, » a dit Chris Haag, délégué syndical qui représente Local 30 au sein du musée. »
artnews.com, 16/11/2018

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Lors de l’exposition de l’artiste Tino Sehgal au Palais de Tokyo à l’automne 2016, les enfants qui jouaient les performances n’étaient pas rémunérés. À la question de savoir s’ils trouvaient cette situation normale, l’un d’eux répondit :
« Tino nous donne tellement en retour ! »

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« Je crois qu’une des fonctions du musée, objective, c’est précisément d’être quelque chose où tout le monde peut aller et où seuls quelques-uns vont. Le musée est important pour ceux qui y vont, dans la mesure où il leur permet de se distinguer de ceux qui n’y vont pas. »

Pierre Bourdieu, France Culture, 21/02/1972

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Un artiste réclame sa rémunération après plusieurs jours sans réponse du festival de performance (association OuOùOuh) pour lequel il a réalisé un projet qui avait préalablement été sélectionné sur dossier. Ses nombreuses tentatives lui permettent enfin d’apprendre qu’il ne sera pas rémunéré car sa performance n’était pas suffisamment « à la hauteur ». En effet une ligne dans le contrat stipule que l’association se réserve le droit de juger de la valeur d’une production artistique et donc de sa rémunération. Un bon moyen d’éviter toute dépense inutile au festival.

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C’est le Palais de Tokyo qui a été choisi pour assurer la direction artistique de la prochaine Biennale d’art contemporain de Lyon. Comme au sein de son établissement, Jean de Loisy veut faire la part belle au partenariat public-privé. Plusieurs idées ont déjà été évoquées : le projet de « naming » du prochain lieu d’exposition (à la manière des grands stades de football dont le nom est attribué au plus offrant). Ou bien encore ce concept de 50 résidences en entreprise pour 50 artistes. « On propose [aux entreprises] plus que du mécénat, un engagement citoyen et une opportunité d’impliquer leurs salariés. Ce sera un défi et une fierté pour ceux-ci, car les artistes vont les challenger et par la même occasion, on sensibilisera leurs familles à l’art contemporain » a expliqué le directeur du Palais de Tokyo aux Échos le 29 août 2018.

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Lors d’un workshop aux Beaux-arts de Nancy, un étudiant a emprunté du matériel pour son professeur. À la restitution, un pied photo manquait. Le professeur ne s’est pas senti concerné et n’a pas bronché lorsque l’administration a exigé 200€ à l’élève qui avait signé la décharge. Face à son refus de payer, la responsable administrative a tenté de contraindre l’élève à travailler gratuitement un certain nombre d’heures pour le compte de l’école en guise de réparation. Cette étrange idée de TIG lui viendrait-elle de son passé professionnel au sein du milieu pénitentiaire ?

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L’an dernier, la région a « égaré » une œuvre qu’un des collaborateurs de Valérie Pécresse avait emprunté au FRAC Île-de-France. Heureusement, plusieurs relances ont permis de la récupérer. C’est une vieille habitude parmi les élu.e.s que de s’adresser aux FRAC ou au Mobilier national pour décorer leurs lieux de travail, puis de s’accaparer ces prêts pour égayer leurs résidences privées, sans être plus inquiété.e.s que ça :
« Libération a exploité la base Sherlock entretenue par [la Commission de récolement des œuvres d’art de l’Etat (CRDOA)]. Cette base de données en ligne contient près de 23 000 œuvres recherchées. 1 346 d’entre elles ont donné lieu à un dépôt de plainte pour vol ou disparition. »
Libération, 16/04/2016

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« LA POSTE FINANCE DES EXPOS,
MAIS FERME SES BUREAUX !
ON VEUT DES EMBAUCHES,
PAS DU MÉCÉNAT ! »

affichait la banderole des grévistes de La Poste venus troubler le 16 août 2018 l’inauguration d’une installation de l’artiste Sabrina Vitali, qui intègre un bureau de poste dans le hall du Palais de Tokyo.
Cette opération de communication a été organisée par son directeur, Jean de Loisy, et le commissaire d’exposition Yoann Gourmel pour le compte de l’entreprise aux 50 suicides par an.

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La directrice des Rencontres Internationales de danse de Seine-Saint-Denis a pour habitude de garder sous clef des goûters qu’elle ne donne à ses employé.e.s qu’en cas de mérite.

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« [...] la ratification ne vient pas, et je comprends qu’on m’a payé en paroles, de sorte que je suis tout à fait désespéré. Je me suis saigné aux quatre veines pour donner mille quatre cents écus qui m’auraient servi à travailler pendant sept ans, si bien que j’aurais pu faire deux tombeaux, au lieu d’un : et si je l’ai fait, c’est pour pouvoir vivre en paix et servir le pape de tout mon cœur. À présent je me retrouve avec moins d’argent et avec plus de querelles et de tourments que jamais. Ce que j’ai fait de cet argent, je l’ai fait avec le consentement du duc et pour le contrat qui me libère ; et maintenant que je l’ai déboursé, la ratification ne vient pas, de sorte qu’on voie très bien ce que cela signifie, sans que j’aie à l’écrire. Il suffit : au terme de trente-six ans de probité et après m’être de bon cœur consacré à autrui, je ne mérite pas autre chose : la peinture et la sculpture, le labeur et la probité m’ont ruiné, et les choses continuent d’aller de mal en pis. Il eût mieux valu pour moi que, au cours de mes jeunes années, je me fusse mis à faire des allumettes : car je ne serais pas plongé dans de tels tourments ! [...] Votre Michel-Ange Buonarroti À messire Luigi del Riccio. »
Rome, avant le 24 oct. 1542 , Michel-Ange, lettres choisies, Éditions Ombres, 1999

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Passages critiques
« L’œuvre a fait l’objet d’une importante rénovation de son système de sécurité. »

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« Ces gens, filmés à la veille de leur expulsion [NDLR : du quartier de la Joliette à Marseille], sont très clairs, ils se perçoivent comme victimes d’une violence qui n’a rien de symbolique : leur maison va être démolie pour laisser place aux visiteurs du FRAC, et elle l’a été effectivement. Et le FRAC ne doute pas un instant de sa propre légitimité, au-dessus de toute discussion. On a beau être fun, il y a des choses que l’on ne peut discuter. »
Entretien avec Alèssi Dell’Umbria, Journal Ventilo, 30/10/2013

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Il a suffi d’une lettre de Mehdi Qotbi, le président de la Fondation nationale des musées du royaume du Maroc, pour que le directeur du Centre Pompidou, Serge Lasvignes, fasse retirer de ses espaces d’exposition une œuvre consacrée au Front Polisario (un mouvement politique armé anticolonial du Sahara occidental en conflit avec l’État marocain).

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Passages critiques
« “C’est le premier oignon retransmis en direct“, se réjouit l’artiste. »

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« Le Consulat est une action de l’association G.A.N.G (Groupe Action Néo Green). G.A.NG promeut l’idée d’une vision du monde holistique, où tout est interconnecté et interdépendant, où l’homme est partie intégrante de la nature et non pas érigé en son maître absolu. Les 4 piliers principaux du Consulat sont : danser - penser - agir - réunir. »
On n’en attendait pas moins de la part du fondateur, Lionel Bensemoun, petit-neveu du fondateur de la dynastie des casinos Partouche, grand patron des nuits parisiennes (Le Baron, La Mano...) et de l’évènementiel de luxe (son agence, La Clique, œuvre à la FIAC, Art Basel, Frieze London...), qui entend donner au milieu du luxe une coloration verte. Partenaire du Chant des Colibris ou du Freegan Pony, le Consulat sollicite des bénévoles pour tenir l’accueil et les vestiaires de leurs soirées clubbing payantes.

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Une artiste propriétaire d’un penthouse dans le 19e à Paris, non contente de promener une réputation de mauvaise payeuse, échange le travail d’un sans-papier contre un logement dans son atelier et la promesse d’une régularisation.

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« Comme dans la vie, où l’on peut très bien avoir une discussion théorique le midi, aller à la pêche l’après-midi et faire la fête le soir – en disant cela, je paraphrase le Marx des Manuscrits de 1844 »
Nicolas Bourriaud.
Comment vit, travaille et (co)produit un jeune artiste français en 2016 ?, Les Inrocks, 16/10/2016

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« L’agence Sisso, qui s’occupe du community management de la FIAC, emploie une majorité de stagiaires ce qui est bien sûr légalement interdit, d’autant qu’une grande partie ne sont pas rémunérés. Les quelques contrats payés au SMIC se justifient cyniquement par les caprices indécents du fondateur Benjamin Hélion, descendant de Peggy Guggenheim. On a ri quand on a appris qu’ils s’étaient fait casser leur vitrine par Nuit Debout. »

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« Je performais une fois pour Tino Sehgal au Palais de Tokyo, mais ils avaient privatisé un espace pour y accueillir Audi. Audi foutait la musique tellement fort qu’on pouvait plus interpréter l’ensemble de la performance dans l’espace d’exposition, donc on a dû performer dehors. »

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« On a créé l’atelier populaire des Beaux-arts et on a fait des affiches. Tout le pays est en grève et nous, nous n’avons jamais autant travaillé de notre vie. On est enfin nécessaire. »
Gérard Fromanger à propos de mai 68,
Libération, 14 mai 1998

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10 euros de frais de dossier pour participer à Jeune création. Lorsque les recettes de cet appel à candidature n’atteignent pas le montant espéré, l’association reporte la date butoir de dépôt des dossiers.

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Du 12 au 14 juin 1956, le Palais des Beaux-arts de Bruxelles a présenté une exposition de tableaux répondant à une préoccupation esthétique peu commune : « l’industrie du pétrole vue par des artistes ». Cette exposition réunissait 99 toiles de 61 peintres appartenant à six nations différentes. [...] La préface du catalogue édité à cette occasion mérite les faveurs d’une reproduction intégrale :

« Les peintures et dessins de cette exposition ont été exécutés à la demande de la Royal Dutch-Shell qui a estimé que tandis qu’à toutes les époques de l’histoire l’élan créateur fut stimulé dans l’art et dans celui de la pensée par les Princes, prélats et riches bourgeois, il est regrettable de constater qu’à notre époque les artistes qui participent au rayonnement de la civilisation, ne sont pas soutenus comme ils devraient l’être. La grande industrie et la haute finance, dans une large mesure responsable de l’organisation sociale, se doivent donc de reprendre ce mécénat sous une forme ou sous une autre. C’est pourquoi toutes les œuvres exposées ont été achetées par le groupe, qui est persuadé que l’artiste a sa part à jouer dans l’interprétation de l’industrie vis-à-vis du public. Ses œuvres, qui sont destinées à être présentées dans différents pays, ont déjà été exposées en Angleterre, en France et en Suisse. »

Extrait du tract Toutes ces dames au Salon, Bruxelles, 1956

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Les flammes sont une version de la lumière. Sachez savoir allumer ce qui brille.

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L’entreprise Coregie, missionnée pour le montage d’une exposition aux Magasins Généraux (agence BETC), a rémunéré pour le même travail 50 euros de moins ses régisseuses que ses régisseurs.

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Passages critiques
« Il s’agit là d’une langue plus contagieuse qu’éclairante, plus terreuse qu’enciellée, plus berbère qu’occidentale, plus aztèque qu’abstraite, et plus massive qu’allusive. »

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« Les centaines de personnes appréhendées aujourd’hui et samedi dernier méritent un joli bracelet électronique à la cheville, pour les dix prochaines années, à leurs frais évidemment, afin de s’assurer qu’ils ne participent plus à aucune manifestation. »
Frédéric Bugada de la galerie Bugada & Cargnel, Facebook, 01/12/2018

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Depuis que Richard Turley a fait de Bloomberg Businessweek un objet éditorial soigné, on ne compte plus les jeunes dessinateur.rice.s et graphistes qui se retrouvent à illustrer ce très joli magazine pro-Macron qui ne manque jamais une occasion de cracher sur les grévistes.

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« C’est un compagnonnage entre un artiste, et deux très belles marques : le Palais de Tokyo et La Poste. »

Jean de Loisy, extrait de la vidéo intitulée « Bureau de Poste au Palais de Tokyo » publiée sur YouTube par le groupe La Poste.

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