1er mai : jour de fête à Paris

Notre compte-rendu de la manifestation

paru dans lundimatin#102, le 4 mai 2017

Attablé à la terrasse d’un café, Jacques, retraité de La Poste s’exclame : « Je crois que je n’avais jamais vécu une aussi belle manif’ du 1er mai ». Il est vrai qu’hier à Paris, l’humeur était radieuse. Pourtant, rien ne laissait présager une telle euphorie populaire, Météo France avait annoncé de la pluie pour l’après-midi et l’ambiance maussade d’entre-deux tours dispersait la mobilisation syndicale.

Comme toujours, la bataille des chiffres a fait rage. Dans son suivi en direct des événements [1], la Préfecture de Police de Paris dénombrait 150 personnes en tête de cortège alors que les organisateurs en annonçaient 5000. Selon les estimations de nos reporters sur place, 1500 à 3000 manifestants menaient les festivités au milieu des chants, des banderoles et des feux d’artifices.

Alors qu’une vieille dame rentre dans son hall d’entrée, elle alpague un jeune homme au visage recouvert d’un foulard violet : « Mais vous manifestez contre quoi au juste ? ». La réponse ne se fait pas attendre : « Oh vous savez madame, contre tout et contre rien. » Si la réplique peut sembler évasive, elle exprime parfaitement la multiplicité et l’entrelacement de ce qui s’exprimait dans la rue : contre Macron et Le Pen, contre le travail, contre les élections, voire contre le néant. D’une certaine manière, cette foule bigarrée semble avoir dépassé le stade des revendications, pour devenir en elle-même une pure affirmation.

Si la pluie n’est pas venue perturber l’après-midi, une audace malencontreuse des Compagnies Républicaines de Sécurité a pu jeter un froid. Alors que la manifestation arrivait place de la Bastille,
plusieurs dizaines d’agents armés, casqués et pour certains cagoulés ont entrepris de nasser le cortège tenu par la CGT. Interloqué par une manœuvre si cavalière, le cortège de tête dut revenir sur ses pas en hurlant d’un seul homme « Libérez la CGT ! ». Surpris par la confusion qu’ils venaient eux-mêmes de générer, les policiers se mirent à jeter des grenades assourdissantes dans la foule et à inonder la rue de gaz lacrymogènes. Ce désaccord pratique sur le déroulé de la journée inaugurera plusieurs heures de débats. D’un côté, des manifestants qui refusent que les syndicats soient marginalisés ; de l’autre, une préfecture intransigeante qui s’acharne à morceler la rue à coups de flashball et de nuages lacrymogènes.

Arrivée place de la Bastille, et malgré de grands efforts pyrotechniques, une grande partie du cortège est contrainte de fuir les gaz laissant les syndicalistes toujours plus isolés. Pris en étau sur l’avenue Daumesnil, plusieurs centaines de participants se font littéralement étouffer puis lyncher par des dizaines de policiers enragés. Nos reporters constatèrent notamment un usage inédit et débridé d’armes à létalité réduite. Et quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils constatèrent que les policiers poussèrent le zèle jusqu’à esquisser une charge sur la coulée verte, où certains avaient cru bon de fuir la densité des gaz ! Cela ne suffira pourtant pas à gâcher l’ambiance. Après de longues minutes de suspens et de toussotements, c’est toute la manifestation qui pu reprendre ses activités démontrant par là au préfet toute la superficialité de ses intimidations armées.

Notons que comme lors des mobilisations contre la loi travail, les murs ont été décorés de graffitis très inspirés. « Ivre, il vote en 2017 », « Cours, camarade, un monde de vieux est derrière toi », « On est pas là pour vendre du muguet », « Macron : 1er avertissement. », « Macron : Destitution ! », « Macron t’es fini », « Il n’y a pas eu de présidentielles ».

Intrigués par cet acharnement à l’encontre d’un président même pas encore élu, nous avons demandé à un jeune tagueur ce que signifiait son inscription : « Macron tu vas chialer. Signé : les jeunes »

« S’il est élu, Macron ne finira pas son mandat. Dans deux ans il démissionne au JT avec une larme à l’oeil en expliquant qu’il est trop déçu que la France ne puisse pas se gérer comme une start-up. »

Un de ses amis surenchéri :

« Macron ce qui l’intéresse, c’est de gagner. Une fois qu’il aura le poste, il va trouver ça trop relou d’être président. Contrairement aux autres candidats, il est absolument post-idéologique, il est l’incarnation la plus nue du pouvoir. Il est vide comme la logistique. Il va se faire traumatiser et il tiendra pas le choc ».

Quand nous leur demandons s’ils ne craignent pas de faire le jeu du Front National en s’opposant au candidat républicain, leur réponse est franche et unanime :

« Oui, c’est vrai que c’est un risque. Mais si Le Pen passe, on foutra tout en l’air pour se faire pardonner. C’est promis. »

NB : Alors que nous finalisons l’écriture de cet article, on nous signale que des incidents seraient advenus dans le « cou » de la manifestation. En effet, de nombreuses sources nous rapportent que le Service d’Ordre de la CGT aurait confondu des lycéens et des jeunes manifestants avec des policiers, ce qui aurait débouché sur des violences inopportunes et regrettables.

Addendum

Hier, l’équipe médicale qui suivait la manifestation a diffusé ce compte-rendu des violences policières extrêmes.

street-medic-comminuqué-1er-mai-2017 by lundimatin on Scribd

[1Nos lecteurs ne le savent peut-être pas, mais dans ce genre d’occasions, la préfecture envoie par SMS, en direct et au fil de la manifestation, des messages et images aux principaux journalistes couvrant ce genre de manifestations. D’où parfois, quelques distorsions entre les faits constatés et ceux rapportés dans les premières dépêches.

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