317 [Documentaire]

Le 29 novembre 2015, une manifestation brave l’état d’urgence à Paris. 317 personnes sont placées en garde à vue.

paru dans lundimatin#124, le 27 novembre 2017

Le 29 novembre 2015 fut une journée spectaculaire.

Des caméras de télévision du monde entier sont braquées sur Paris : aux images-fétiches du « deuil national » et de la mascarade diplomatique de la COP 21, viennent s’ajouter celles de la répression d’une manifestation interdite.

L’état d’urgence avait bel et bien été bravé, ce jour-là. En guise de représailles, la Préfecture de Paris place 317 personnes en garde à vue. C’est ce que raconte ce documentaire du collectif 317 que nous diffusons aujourd’hui. S’ensuit un texte de présentation de l’historienne et politologue Vanessa Codaccioni.

Bande Annonce

Le Film

[Une projection du film est organisée le 6 décembre à l’Université paris 8. Seront présents des membres du collectif 317, Vanessa Codaccioni, Samir Baaloudj et un membre d’Urgence Notre Police Assassine.]

317 gardes à vue

par Vanessa Codaccioni

Le documentaire 317, auto-produit et réalisé par le collectif « 317 » à partir de la répression de la manifestation du 29 novembre 2015, est un documentaire important. D’une part parce qu’il est riche de nombreux témoignages et restera ainsi comme une archive précieuse pour les mouvements en lutte et plus généralement pour celles et ceux qui écriront l’histoire de la gestion des manifestations par l’État. Et d’autre part parce qu’il fournit, là, tout de suite, un support de compréhension essentiel à la répression de l’activisme oppositionnel aujourd’hui.
Le documentaire a pour point de départ la manifestation interdite du dimanche 29 novembre 2015, qui s’inscrit dans une série de mobilisations pour « La marche pour le climat » et dans le double contexte de la Cop 21 et de la proclamation récente de l’état d’urgence. Après les gaz lacrymogène, l’encerclement de centaines de manifestants, les charges policières, l’usage la technique de la nasse, et l’arrestation/conduite au poste par les CRS, la police procède à 317 placements en garde à vue. Tout l’intérêt du documentaire est alors de recueillir la parole de celles et ceux qui ont été arrêté.e.s et emmené.e.s au poste, et qui nous racontent la garde à vue de l’intérieur, avec son emprise sur les corps (les fouilles, les mises à nu, le prélèvement d’empruntes génétiques, l’entassement dans des cellules vétustes), ses violences physiques et ses insultes, ses techniques d’intimidation, de provocation et même de terrorisation, avec des faits relatés d’une extrême gravité comme ce policier qui pointe son pistolet sur le visage d’un manifestant lors d’un transfert au commissariat du 9e arrondissement.
L’autre grand intérêt du documentaire est de saisir ce que la répression fait aux manifestant.e.s. On voit alors les hésitations et les doutes - Faut-il ou non appeler un avocat ou sa famille, quand la police vous dit que cela va retarder votre libération ? Doit-on donner son ADN ? Est-ce obligatoire ? Qu’est-ce que je risque en cas de refus ? – qui signalent l’imprévisibilité de la répression et l’impréparation des manifestant.e.s. On peut d’ailleurs, à certains moments, être étonné.e par le degré de violence perçue et décrite, comme les pleurs de cette manifestante, qui fait penser par certains aspects à la première fois que des militant.e.s maoïstes, dans les années 1970, ont découvert la prison et ont commencé à la prendre en compte dans leurs dénonciations : après tout, ce n’est qu’une garde à vue ! Et comme le rappelle fort justement Samir Baaloudj dans ses interventions, la police ne naît pas lors de la proclamation de l’état d’urgence et a d’autres cibles historiques qui subissent quotidiennement ses violences et son harcèlement : les jeunes et les habitant.e.s des quartiers populaires et des banlieues. Mais justement, ces pleurs nous disent quelque chose des effets de la répression, de sa violence pour des primo-manifestants ou des « primo-réprimés », et des effets escomptés par les autorités : faire peur, décourager, empêcher, « déradicaliser ». Et si effectivement, ces techniques répressives peuvent entraîner la déradicalisation de certaines et certains, on voit surtout comment au contraire elles peuvent renforcer les convictions politiques et pourront conduire à des formes plus radicales d’oppositions militantes.
Or, le documentaire ne s’arrête pas à un événement répressif précis : celui des 317 gardes à vue du 29 novembre 2015. Il élargit la perspective en donnant la parole à des assigné.e.s à résidence pendant la Cop 21, à des activistes arrêté.e.s avant la participation à des manifestations et envoyé.e.s en Centre de Rétention Administrative (CRA), à un militant anarchiste envoyé en hôpital psychiatrique ou encore à une avocate qui dénonce l’utilisation, dans les procès, des fameuses « notes blanches », ces fiches qui font office de preuve alors même qu’elles sont très imprécises, non signées et qu’il est très difficile (voire impossible) pour la défense de les contester. Aussi, de manière plus générale, ce documentaire nous donne à voir les deux principales caractéristiques de la répression de l’activisme oppositionnel aujourd’hui : la criminalisation du militantisme par la répression policière et judiciaire et sa dépolitisation (si ce n’est sa pathologisation) par le refus de reconnaître le caractère « politique » des gestes de lutte ou des manifestations.

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