Récit d’un Interlude des Soulèvements de la Terre

paru dans lundimatin#400, le 24 octobre 2023

30 septembre 2023, 7h30…
Je sors de ma tente. La brume matinale est là, preuve s’il en fallait d’une nuit quelque peu fraîche et humide. A proximité, une vingtaine de tentes offrent des tâches de couleurs au milieu du pré. Je suis arrivé la veille au soir pour ce long week-end d’Interlude. Le petit déjeuner est servi à partir de 8H00. Où sommes-nous ? Pour des raisons de confidentialité, de sécurité, je ne le dirai pas dans ces lignes. Les Soulèvements sont dans l’œil du Pouvoir. Epiés, surveillés, écoutés. D’ailleurs des RT, un, deux, plus, font trainer certainement oreilles et yeux ici et là. Ils vont se régaler jusqu’à lundi matin. Enfin c’est ce qu’ils espèrent.

C’est le premier Interlude réunissant les comités locaux des Soulèvements. A l’accueil du lieu…bon ok, je livre quelques indications sur celui-ci : nous sommes au sein d’un GFA, le lieu est coopératif, collectif, solidaire, créatif…A quelques centaines de mètres un village, autour, des collines. Sur l’une d’elle trônent les vestiges d’un château. Pour l’organisation du camp, deux chapiteaux, des toilettes sèches, des espèces de cabines tentes pour les douches froides, une cantine militante proposant du végétarien et du végan. Je reviens sur l’accueil. Des papers boards m’indiquent le programme définitif de ce long week-end, d’autres affichent les tâches permettant le bon déroulement de l’Interlude. Chacun, chacune est invité à s’inscrire pour la vaisselle, le nettoyage du camp, la vidange des toilettes sèches. Pour les repas le prix est libre.
Le programme est hyper dense. De nombreux ateliers sont proposés. L’Interlude est un temps de formation, d’information, d’échange, de projection. C’est un entracte actif, vivant, créatif. La veille, le vendredi soir, après la présentation du programme, vient un exposé sur les luttes paysannes du siècle précédent. L’exposé est brillant, riche, passionnant. Sous le chapiteau, ce vendredi soir, nous sommes déjà prés de 200. Des grandes feuilles sont à la disposition de chaque comité pour afficher d’où il vient, ce qu’il a fait et va faire. Sans rentrer dans les détails…. Une autre grande feuille propose à chaque comité de se localiser avec une aiguille à tête de couleur sur la carte de France. Peu à peu la carte se remplit. Dans le courant du samedi matin plus d’une cinquantaine de comités sont arrivés. Il en est de même que le nombre de tentes présentes dans les espaces dédiés. A vue d’œil je pense qu’une centaine de tentes tapissent le sol herbeux. Nous sommes maintenant près de 400 …
J’observe les classes d’âges présentes et distingue deux tranches d’âge surreprésentées . La plus importante est celle des 18 à 30 ans. Elle représente je pense les deux tiers des présents. Ensuite, ce sont les plus de cinquante ans. Au cours de ces trois jours je découvre une jeunesse responsable, mature, tolérante, ouverte et déterminée. Cela me fait du bien de voir cela. Pas de conflit de génération affiché. Chacun, chacune, écoute, laisse parler. Le respect est là, comme un totem. Les plus anciens sont visiblement arrivés avec leurs bagages de luttes passées et présentes, d’expériences, de conseils et d’échecs. Comment, pourquoi avons-nous laissé ce monde partir à la dérive ? Je fais partie de ces anciens. Nous avons joui d’un passé, d’un présent portant la modernité aux nues. Pourquoi avons-nous été aussi naïfs, inefficaces, absents, inopérants, crédules, hypnotisés ce dernier demi-siècle ? Nous avons surfé sur les énergies fossiles sans vouloir voir l’inévitable. Je pense à tout cela et j’ai honte. Nous les plus anciens nous n’avons pas été assez combatifs, organisés, responsables. Nous n’avons pas su lutter contre un Etat, des Etats, asseyant leurs pouvoirs sur l’enrichissement personnel, sur le productivisme, la consommation. Le capitalisme d’Etat ou individuel nous trompe, nous leurre. Et détruit l’ensemble du Vivant.

Bon, je reviens à mon récit, pardonnez-moi cette digression. Des temps sont dédiés à des retours sur des actions passées tel que Sainte Soline, l’A69, le convoi de l’eau…Ce n’est pas seulement un retour sur le factuel. Cet Interlude permet, nourrit aussi un regard critique sur ces actions. Nous ne savions pas, nous avons mal anticipé, nous n’aurions pas dû, etc. Le principe : se servir des erreurs pour faire mieux. La fin de la Saison 6 va être chaude. Toutes et tous nous sommes dans l’attente du jugement sur le fond concernant la dissolution ou non des Soulèvements. Quelque que soit la décision du Conseil d’Etat le peuple de la Terre continuera, se soulèvera. Nous continuerons à être des lanceurs d’alertes, des activistes non terroristes face à un Etat qui dérive et est assujetti aux forces de l’argent, de la finance.
Je digresse encore. Un vilain défaut. Retour sur l’Interlude. Durant les réunions, les temps collectifs en grands groupes ou petits groupes, les échanges sont fluides. Ici pas de chef, de responsable, de meneur ou meneuse. Le mot « libertaire » me vient à l’esprit. Ici on ne regarde pas si celui ou celle qui s’exprime est homme ou femme, trans, bi ou hétéro, ou autre catégories. On s’en fout. Ce qui compte est l’esprit et non l’enveloppe extérieure. Oui, le mot libertaire colle bien à cet Interlude. J’ai un peu l’impression de vivre en un ailleurs, un autre temps, un autre espace, un univers parallèle. Est-ce le temps quantique d’un monde libertaire ? Mais je sais aussi que cette impression n’est pas nouvelle…Que déjà dans l’histoire de l’humanité, face à l’oppresseur, des hommes et des femmes, ont eu cette impression.
Les différentes commissions sont présentées. Il est question de légal, de suivi des comités, de communication, de formation, d’International, de soins, de soirée, d’enquête, de musique…Les ateliers au fil du week-end fleurissent. Il sont en lien avec des thèmes, des actions, des régions. Le but de l’Interlude est de deux niveaux : rapprocher les comités du « national » des Soulèvements, rapprocher les comités au sein d’une même région d’appartenance. C’est la mise en œuvre d’une synergie solidaire et spatiale. C’est la possibilité de créer un calendrier des luttes locales et nationales. C’est le lien qui se tisse entre des femmes et des hommes qui veulent un autre monde maintenant et demain. Parce qu’un autre monde est possible.
Dans cet Interlude flotte la convivialité, le plaisir, malgré l’ampleur de la tâche, d’être là et ensemble.
Dans cet Interlude s’infiltre la détermination, la combativité et l’espoir de luttes qui ne sont et ne seront pas vaines.
S’il fallait une preuve, quelques jours après ce long week-end, la justice annule le projet de 15 mégabassines !!!!
No bassaran !!!!!!

Meadows

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